Ding ! 

Entre 2008 et 2022, Ty Segall (Artiste multi-instrumentiste californien que nous avions évoqué dans la chronique sur Cory Hanson) nous a habitué à sortir au minimum 1 album par an, que ce soit en “solo” ou avec ses multiples groupes projets, le bougre profitant du confinement pour créer son propre studio d’enregistrement chez lui.

Connu principalement pour faire partie du revival de la scène Garage Rock (plus particulièrement psychédélique et californienne aux cotés de Thee Oh Sees notamment), Ty a su se diversifier, explorer, allant du psyché folk “Sleeper”, au glam-psyché “Manipulator”, du concept album expérimental “Emotionnal Mugger” jusqu’au presqu’électro “Harmonizer”. On pouvait légitimement se demander à quelle sauce on allait être mangé en 2023 ! 

Mais voilà, 2023 se déroule sans aucune nouvelle de ce cher Segall…aucune ? Non ! Une irréductible habitude du monsieur lorsqu’il annonce un nouvel album résiste encore et toujours au manque d’inspiration. Une image de cloche, puis deux, puis trois et un single, ainsi est dévoilé le morceau Void et le nom de l’album…”Three Bells” 

Le morceau commence commence de manière acoustique, avec un enchainement de notes, qui deviendront lancinantes et créeront au fur et à mesure de l’avancée du morceau une sorte d’enlisement infernal couplé avec un piano qui part dans tous les sens jusqu’à un changement de rythme et d’ambiance cohérent mais surprenant. La guitare électrique revient à coup de gros riffs entêtants, la structure est complexe et non linéaire, on est à la limite du rock progressif. Le chant de Segall, calme et posé, contraste avec l’extravagance et la richesse de la (des ?) mélodie.
 

 

Dingue ! 

Alors c’est à ça que l’on doit s’attendre du nouvel album de Ty Segall ? Du rock progressif teinté de psyché ? Les autres singles nous confirment que l’artiste a une vision bien différente de ce qu’il nous laisse penser…
Eggman sorti peu après le précédent débarque avec un clip qui est assez difficile à regarder jusqu’au bout (qu’on aime les œufs durs ou pas) : 

Même principe principe de départ ici : des boucles sonores enivrantes qui cloisonnent l’auditeur (l’insistance de la répétition est accentuée par des paroles résonnantes : “Repetition, Again, Again” et l’omniprésence de la phrase “Hey, do you hear what I say”) avec pour seule différence les effets fuzz (guitare électrique saturée) qui renforce ce sentiment de dégénérescence avec une fin apocalyptique… 

Bon là on est d’accord, ce n’est vraiment pas pour tout le monde, on commence à se dire que ce n’est pas le genre d’album à passer en fond en dîner mondain quand tout à coup la pépite pop My Room nous ouvre ses portes… 

Qu’a-t-on besoin besoin pour faire un morceau pop-rock efficace et simple mais pas simpliste ? Ty Segall le One Man Band reprend du service et nous explique qu’une guitare acoustique, une électrique, une batterie et une basse suffisent. C’est encore mieux quand c’est la même personne qui joue de tous les instruments (comme à la belle époque) et c’est encore mieux quand le morceau se termine par un solo à vous faire taper la tête contre le mur (de plaisir, évidemment) et vous entraîner pour votre prochain concours d’air guitar. 

On est d’accord d’accord l’ambiance change, on passe du voyage prog et de l’isolement claustrophobique à une petite douceur pop, mais il ne manquerait pas une petite ballade psyché-pop avec un chien pour finir le tableau ? 

 

 Ah ben non, voilà My Best Friend qui est ni plus ni moins le morceau dédié à un des deux chiens de l’auteur. On notera la répétition encore encore dans la construction, toujours subtile, toujours assez présente pour la remarquer mais toujours bien dosée. Le solo est dément et le clip est hypnotisant, qui n’a jamais rêvé de voir le monde à travers les yeux d’un chien ? En soi le morceau, comme le précédent nous fait respirer avec son air jovial (le teckel a l’air jovial aussi).  

 

 

D’ondes ! 

Dans une interview donnée peu après après la sortie de l’album en janvier 2024 (ici) Ty, dans la continuité de logi(comi)que de répétition que l’on peut écouter dans tout l’album, nous explique sa façon de composer. Plutôt que d’écrire ses musiques autours d’une flopée d’accords, il se concentre sur un seul et même accord qu’il va « balader » sur la manche de la guitare changeant ainsi la hauteur du son final. Cela nous enferme dans une tonalité qui change constamment, avant de finalement se servir d’un changement d’accord pour nous en libérer. 

Ça a fait écho écho écho à un sentiment ressenti durant l’écoute. Celui d’arpenter un labyrinthe bardé de portes, dans lequel les murs et les couloirs changent de forme, si bien que l’on n’est jamais sûr de ce sur quoi on va tomber en ouvrant l’une des nombreuses portes qui le composent.
Ainsi nous pouvons établir que les morceaux composants l’album sont tout autant de portes dans un labyrinthe psychédélique et changeforme que l’on suppose sans issue.
 

Là où le morceau d’ouverture The Bell est une invitation à l’exploration de ce labyrinthe et se lie parfaitement au suivant The Void”. La piste I Hear propose un groove gras et presque disco à la fois qui pourrait ressembler à une sorte de salle “piste de danse” dans laquelle des formes suintantes danseraient au ralenti. La piste « Wait serait la pièce dans laquelle on s’installe devant un paysage paradisiaque et romantique qui s’apocalyptise peu à peu pour finir en Armageddon totale à base d’affrontement de solos de guitare dantesques tandis que Repetition serait la pièce dans laquelle vous tournez, car vous êtes débout sur un disque country rayé qui fait des bruits de synthétiseur un peu bizarres mais oh ? Est-ce les murs qui fondent ou est-ce votre propre corps ? 

Ty Segall nous livre ici un album introspectif tout en laissant une grande part à l’interprétation de l’auditeur (comme souvent) et tellement de questions sans réponses qu’on se croirait dans la série Lost.
Que sont les trois cloches ? Va-t-il arrêter de sortir minimum 1 album par an ? Dois-je acheter un teckel parce que c’est trop mignon ? Est-ce que si je le fais je dois obligatoirement composer un morceau qui lui est dédié ? Est-ce une coïncidence si la photo sur la pochette de l’album ressemble beaucoup à son album Manipulator sorti 10 ans avant ?  

A-t-on vraiment besoin d’une réponse à toutes ces questions, pour apprécier le 15ème album d’un artiste aussi talentueux que prolifique ? Non.