Quel meilleur antidote à la morosité ambiante que le dernier album des Haricots Rouges, qui revisitent 12 thèmes bien connus du cinéma mondial avec la pétulance et la malice qu’on leur connaît depuis près de 60 ans ! On mesure l’humour des meilleurs ambassadeurs français du jazz New Orleans dès le titre, facétieux, en forme de pied de nez à leur âge : « Meilleurs espoirs masculins ». Certes le jazz band n’est plus de première jeunesse bien que l’énergie débordante de leur album fasse mentir leur état civil…
Ce disque, enregistré en 2018 (label Frémeaux et associés), qui ravira à la fois les cinéphiles et les amateurs de jazz, et a fortiori ceux qui combinent ces deux passions, réinvente les grandes compositions des cinémas américain et français. Le spectre de l’inspiration des Haricots Rouges est large, allant de l’entraînante chanson de guinguette de « La Belle équipe » de Julien Duvivier à la chanson déchirante de Michel Legrand à la fin des « Parapluies de Cherbourg » en passant par le mythique et sublime thème de Nino Rota pour « The Godfather ».
Tout en conservant le cachet « ritournelle sicilienne » de l’original, le jazz band lui ajoute un supplément d’âme et lui confère un rythme jazzy encore plus enlevé, grâce aux souffles conjoints des instruments à vent du jazz (saxo, trombone…), accompagnés du piano, de la batterie et des frétillements du banjo, lequel cultive l’authenticité et l’italianité du morceau. Un jazz à réveiller les morts successifs de la dynastie Corleone ! A mon sens, la grande prouesse de l’album.
Le velouté musical de « Moon river », partie de la bande originale du délicieux « Diamants sur canapé » de Blake Edwards, est lui aussi délicatement mis en valeur dans un jazz cool feutré et intimiste. Et que dire du langoureux thème d’ « Autant emporte le vent », repassé au filtre du jazz New Orleans, transmuté par nos acolytes en une mélodie entraînante et mélancolique à souhait.
Les Haricots Rouges surprennent davantage encore quand ils métamorphosent jusque dans leur essence les thèmes cultes du cinéma. S’attaquant à la chanson chantée par Catherine Deneuve, sur une musique de Michel Legrand à la fin des « Parapluies de Cherbourg », ils évacuent totalement le tragique du morceau au profit d’un swing enchanté et enlevé à la fois déconcertant et évident. Leur jazz chatoyant est au jazz ce que les couleurs de Demy sont au cinéma. De quoi presque se refaire le film et transformer par l’imagination sa fin déchirante en un happy end !
Le jazz band flirte parfois avec un rythme de fanfare comme dans le « Bye bye Baby » issu du film d’Howard Hawks, « Les hommes préfèrent les blondes », qui donne lieu à une conflagration et à une pétarade détonnante de leur parc instrumental. Même topo avec leur réécriture pleine de peps de la chanson bien connue de Doris Day, « Qué sera sera », sommet d’exotisme lancinant dans « L’homme qui en savait trop » d’Hitchcock.
Autre coup de cœur pour une chanson chantée en chœur qui résonne avec le parcours heureux et collectif de ces jazzmen excentriques et sympathiques : la reprise de la chanson utopique estampillée Front Populaire chantée avec panache et dominée par la voix de Jean Gabin dans « La belle équipe » de Duvivier.
Quelle belle équipe d’ailleurs que ces Haricots Rouges qui, malgré leur succès et leurs plus d’un million d’album vendus, conservent intacts leur énergie, leur humilité de bricoleurs pourtant surdoués du jazz new orleans, leur swing à nul autre pareil. Peut-être parce que le band a fait sien le mantra de Brassens, « Les copains d’abord », dont la reprise marqua leur entrée en fanfare dans le paysage du jazz hexagonal.
Sans doute pour une question de droits bien compréhensible, pas de vidéos YouTube pour ce dernier album. Il faudra attendre pour le découvrir la réouverture de Cabanis.