Comme les assidus de la médiathèque, mélomanes et vinylophiles le savent sûrement, le Pôle Musique de Cabanis s’enrichit progressivement d’une belle collection de vinyles dans tous les genres. Parmi les derniers titres achetés figurent deux immenses albums de Miles Davis, « Ascenseur pour l’échafaud », la mythique bande originale du film de Louis Malle, sommet d’improvisation feutrée et hard bop, et « Bitches Brew » (littéralement « brouet de salopes »), album pionnier du jazz fusion, tous deux sertis dans de sublime pochettes (celle, psychédélique à souhait, de « Bitches Brew » est signée Mati Klarwein). Deux albums aussi différents que possible mais unis par un certain goût pour l’exploration et les divagations sonores, qui permettent de mesurer le génie protéiforme de Miles Davis aussi à l’aise dans le minimalisme que dans le trop plein et l’explosion. Les feulements doux et désespérés de sa trompette qui accompagnent les déambulations hagardes nocturnes de Jeanne Moreau et transposent sur le plan sonore l’angoisse d’un Maurice Ronet séquestré dans l’ascenseur habillent le film sur mesure et lui donnent cette grâce à la fois alerte et un peu inquiète. Entre vivacité rythmique et alanguissement plaintif, ses compositions largement dominées par son instrument de prédilection envoûtent et transcendent encore l’atmosphère du film de Malle. Le morceau du « Générique », le plus riche et le plus hypnotique, est un véritable sortilège et s’écoute en boucle. Douze ans après la sortie du film (1958), en 1970, Davis sort « Bitches Brew » et découvre une contrée encore inconnue, un peu défrichée par Frank Zappa, avec « Hot Rats », le jazz fusion, soit l’introduction dans le giron du jazz d’instruments électrifiés appartenant à l’univers du rock. Enregistré en seulement trois jours, cet album est caractéristique du style éruptif de Davis, carburant à l’improvisation et à l’urgence, orchestrant la friction des instruments avec une maîtrise désinvolte. Une myriade de sons, toujours dominés avec une force tranquille par les variations de la trompette, qui se déploient et chatoient sur des plages sonores d’une vingtaine de minutes (26 min pour « Bitches brew ») et qui nous entraînent dans leur sillage, à l’aventure. L’album d’un grand pionnier qui sut peut-être plus qu’aucun autre déceler et exploiter la force centrifuge du jazz et le réinventer sans cesse en le mêlant à d’autres genres (jusqu’à l’électrisant « Doo-bop » en 1991, mélange hybride de jazz, hip-hop, rap et électro)… Venez redécouvrir et mesurer l’étendue créatrice du trompettiste, dans le luxe d’éditions 33 t. comme en CD !
Miles Davis
Il n’y a que Miles qui m’aille !
Ascenseur pour l’échafaud – 1958
Bitches Brew – 1970
Publié le 03 mai 2019