La Bibliothèque de Toulouse a dûment célébré le 150ème anniversaire de la Commune avec l’exposition « Tardi : Le Cri du peuple », qui vient de s’achever à la Médiathèque José Cabanis mais aussi via d’autres animations à la Bibliothèque d’Étude et du Patrimoine et à Empalot. Après la Commune vue par le prisme de l’image et du dessin, place à la Commune en musique avec cette anthologie au titre printanier et plein de promesses, « La Commune refleurira », sortie en fin d’année dernière chez Irfan à l’occasion de l’anniversaire de l’insurrection. Après le superbe album de Pauline Floury, « Les femmes et la Commune de Paris » paru en 2020, qui, comme son titre l’indique, exalte particulièrement le rôle des femmes dans la Commune, c’est au tour d’une pléiade d’artistes engagés plus ou moins connus (les Ogres de Barback, François Morel, Mouss et Hakim, Agnès Bihl…) réunie autour d’une des chantres de la Commune de la chanson française, la grande Francesca Solleville, de reprendre le répertoire de cette grande révolte populaire.
La Commune nous a légué un corpus chanté d’une grande richesse, dont on connaît surtout les chansons incontournables et emblématiques, reprises entre autres au fil du temps par Francesca Solleville, Mouloudji, Jean Ferrat, Serge Utgé-Royo ou encore Jean-Roger Caussimon (L’Insurgé, Le Temps des Cerises, Elle n’est pas morte…). Mais ces « hymnes » bien connus et identifiés de la Commune s’assortissent ici dans cet album de textes inédits (La Mort d’un Globe, Le Grand Crack) et de mises en musique de poèmes et d’extraits de romans de grands auteurs du XIXe siècle (Zola, Hugo…). Un petit livret bien précieux accompagnant le CD replace dans l’histoire du mouvement chaque chanson et texte et les attribue à leurs auteurs originels. Ce corpus large permet d’embrasser tout le déroulement de la Commune, de l’insurrection qui gronde à sa répression sanglante, brassant dans un même élan textuel et musical les destins individuels et l’élan révolutionnaire collectif.
Joyeusement illustré par le talentueux Aurel, cet album dont on doit l’initiative au biterrois (Occitanie power) Corentin Coko qui en signe la note d’intention, ne se limite pas à la Commune de Paris : il rend aussi hommages aux soulèvements parallèles dans les villes de province comme Narbonne, dont la chanson « Sabem plan », libre adaptation d’un discours de Louise Michel à Narbonne le 14 juin 1881 en hommage aux Narbonnais ayant proclamé la Commune de Narbonne le 24 mars 1871 et interprétée ici par le collectif la Mal Coiffée qui promeut l’occitan, se fait l’écho, en occitan dans le texte bien sûr. « Lo pan maudich» d’Aristobule Baux, poète de langue occitane, composé en mai 1879, est quant à lui enregistré à Marseille, fidélité historique et couleur locale obligent.
«La Commune refleurira» tire sa richesse de son exhaustivité joyeuse et de son métissage : témoin cette enthousiasmante version de « L’Internationale » revue par la pétulante fanfare d’origine africaine Eyo’nlé, à laquelle les mots scandés par Francesca Solleville apportent un contrepoint revendicatif. Voulu comme un hommage, non seulement aux Communards qui revendiquèrent au péril de leur vie la séparation de l’Église et de l’État, l’instruction laïque et obligatoire pour tous les enfants, filles et garçons, les droits des femmes, la défense de la République, mais surtout aux poètes qui exaltèrent l’ardeur révolutionnaire (Rimbaud, avec tout son fiel) ou se firent les porte-voix de la souffrance des Communards opprimés, ce florilège polyphonique nous entraîne dans sa vigueur émancipatrice au gré de ses textes qui font écho à des combats toujours actuels : la lutte contre le capitalisme à tout crin, le féminisme (« Si l’égalité entre les sexes était reconnue, ce serait une fameuse brèche dans la bêtise humaine », entend-on dans « Lo Pan Maudich », qui s’achève sur des mots vigoureux issus des Mémoires de Louise Michel), la révolte contre les injustices (« Gare à la revanche quand les pauvres s’y mettront » aurait-pu servir de slogan aux Gilets Jaunes) …
Le son actuel que rendent ces textes d’il y a 150 ans, voulu et pensé par ce collectif d’artistes engagés, tient aussi à l’ atmosphère de farandole, de fanfare et d’utopie collective qui se dégage de ce disque dont l’ébullition musicale n’atténue en aucun cas la gravité et le tragique de ce qui s’est joué pendant ces 72 jours. Corentin Coko écrit que le collectif s’est approprié ces chansons de telle manière qu’on puisse « les imaginer chantées dans une manif de 2021 »…
Avec un didactisme expansif, une variété de tons et d’arrangements, « La commune refleurira », vraie page d’histoire en musique très soigneusement conçue, montre de manière éclatante, à la manière d’une floraison printanière, que, comme le disent les paroles de la chanson, reprise ici avec une fraîcheur revigorante par Michèle Bernard et les survoltés Ogres de Barback, « La Commune n’est pas morte » . Quel bel hommage que ce disque libre et volontiers facétieux qui fait résonner avec une énergie musicale débridée et communicative l’utopie et l’élan toujours vivaces des combats de la Commune.