Vous vous souvenez sûrement du succès de la chanson d’Émilie Simon, « Fleur de saison », en 2006 (« Dès les premières lueurs d’octobre / En tout bien tout honneur /Oh je sombre… »). La chanteuse transmuait en paroles et volutes musicales pop l’égarement que provoquait en elle le changement de saisons. Les variations saisonnières sublimées par Vivaldi semblent résolument être une source d’inspiration pour les jeunes pousses de la musique made in France en juger par l’album de Caloé, jeune chanteuse de jazz biberonnée à Ella Fitzgerald, sobrement intitulé « Saisons » et sorti chez Label Ouest en août dernier.
Cette pétulante brune à la frange mutine, qui se produit autant en France qu’à l’étranger, a étudié avec une application sans faille le scat, cette forme facétieuse du jazz vocal à base d’onomatopées et de syllabes créée par Louis Armstrong et dont Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan et bien d’autres firent les belles heures. Ce scat revisité avec une aisance et un naturel confondants, surgissant sans coup férir au détour de la douceur et de la mélodie de son chant vaporeux, notamment dans « Chiir », n’est pas pour rien dans le vent de fraîcheur et de légèreté qu’exhale cet album que l’on pourrait qualifier de climatique tant il est ponctué de tempête vocales endiablées, tant la voix de la chanteuse a le don de souffler le chaud et le froid, ne serait-ce qu’en passant de la sensualité chaude du portugais le temps d’un titre « As Rosas Noa Fallam » au lyrisme délicieusement ingénu et presque timide de « La chanson de Pedro », chantée en français.
C’est que la demoiselle, révélation de Jazz Magazine cette année, a plus d’une corde à son arc : elle chante tour à tour en français, en anglais et en portugais avec une agilité déconcertante. Souplesse, agilité et grâce sont les caractéristiques de cet album aérien et bigarré, aussi riche et contrasté que les variations saisonnières qui composent une année. La légèreté gracieuse du chant, la ténuité du piano de Clément Simon font de « Saisons » un album « soluble dans l’air, sans rien en lui qui pèse ou qui pose » comme disait Verlaine à propos du vers impair.
Le cortège de musiciens qui accompagne la chanteuse, Arthur Henn à la contrebasse, Franck Wolf au saxophone, Philip Maniez à la batterie, Ashlin Parker à la trompette, a droit lui aussi à ses emballements endiablés, comme dans « Printemps » où la voix de la chanteuse se met en sourdine pour laisser ses acolytes s’adonner à un quasi free jazz qui évoque avec bonheur la floraison tous azimuts et la nature en effervescence, caractéristiques de cette saison.
Le piano de Clément Simon n’est pas en reste, se faisant presque debussyste dans l’amorce du très impressionniste « Les gouttes », titre qui peut évoquer à travers sa manière de poétiser l’infinitésimal une version jazzy de « Cloches à travers les feuilles » du même Debussy.
« L’été » avec son charme swing, ses paroles entêtantes et sa mélodie diablement enjôleuse (« quand le soleil se couche sur fond d’un air de jazz manouche») termine en beauté l’album atmosphérique et richement contrasté de cette chanteuse et compositrice très prometteuse, qui émerge dans le paysage du jazz contemporain avec l’évidence, le naturel d’une fleur de saison et la discrétion revigorante d’un « soleil d’hiver », titre d’un de ses singles paru en 2018, sur fond d’un air de jazz manouche justement.
« Saisons », un album idéal pour réchauffer nos cœurs en hiver, comme dirait Claude Sautet.