Alors qu’Arte + 7 propose en ce moment deux documentaires sur la fabuleuse Joan Baez où l’on aperçoit brièvement celui qui fut son compagnon et sparring partner folk, Bob Dylan se rappelle aussi à nous pendant ce confinement par la mise en ligne de deux ballades inédites, « Murder Most Foul » et « I Contain Multitudes ».
Dans la première, d’une durée de 17 minutes, le prix Nobel de Littérature 2016 revient longuement sur un des évènements traumatiques des sixties, l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy à Dallas en novembre 1963, dont il psalmodie de sa voix éraillée et légèrement nasillarde, les détails, la violence et le scandale. Dans cette ballade ample et feutrée, à l’acoustique minimaliste, un piano aussi discret que mélodieux se fait entendre, accompagné par le lyrisme endeuillé d’un violon fébrile. Cette orchestration discrète laisse le champ libre à la parole, à la complainte aussi âpre qu’élégiaque, qui ne s’embarrasse pas de périphrases et restitue à l’évènement toute sa brutalité et sa soudaineté sanglantes (« Shot down like a dog in broad daylight », « The day they blew out the brain of the king »).
Comme s’il endossait, à retardement, la fonction d’un chœur antique, déplorant un événement tragique, Dylan détaille ce « meurtre le plus vil » avec des accents shakespeariens (le titre « Murder Most Foul » est d’ailleurs emprunté à Hamlet), fait l’autopsie de l’évènement, mais les yeux secs, frontalement, froidement.
Des références aux Beatles, à Woodstock viennent heureusement faire un plan plus large et plus heureux sur cette Amérique des sixties et la ballade-fleuve de se faire plus facétieuse, libre, décousue à mesure qu’elle multiplie les références musicales et les injonctions à jouer dans des anaphores « Play… » au name-dropping étourdissant. Faut-il rappeler que la carrière de Dylan prenait son envol à peu près au moment où Kennedy a été assassiné ?
Cette ballade rétrospective où l’intime n’affleure qu’en sourdine trouve son idéal complément introspectif dans la seconde « I Contain Multitudes », ode plus heureuse et somptueuse à une vie intérieure foisonnante, également très référencée (Edgar Allan Poe, William Blake, Anne Frank, Indiana Jones…). Quelques discrets accords de guitare accompagnent ces paroles au lyrisme baroudeur patiné par l’expérience, typiques du chanteur folk. « I’m a man of contradictions, I’m a man of many moods, I contain multitudes » : une poésie traînante qui sonne comme le bilan mental d’un lonesome folker toujours intrépide et jusqu’au boutiste. Ballade introspective qui n’a rien de statique, dont les paroles disent l’élan, la fureur de vivre, malgré le rythme atonal sur lequel elles sont scandées.
A l’orée de ses 79 ans, Dylan fait le bilan mais c’est toujours aussi entraînant. Un avant goût de l’album à venir ? On l’espère.