Pour aller plus loin
Le Game of Thrones occitan
Les événements historiques de la Croisade contre les Albigeois (1209-1229) – passés au prisme de la reconstruction historiographique et politique opérée depuis plus d’un siècle – ont eu une grande influence sur la constitution de l’identité méridionale contemporaine, laissant bien souvent en Occitanie une vision dramatisée de ce 13e siècle où le Midi, vaincu par les croisés français, aurait perdu son indépendance, sa langue, sa culture et même son âme au profit des rois capétiens du Nord. La Croisade et le « catharisme » n’ont d’ailleurs jamais fait l’objet d’expositions d’ampleur à Toulouse, alors que l’histoire de la ville en a été fortement marquée.
La date de 2024 choisie pour réparer cette anomalie fait écho à l’année 1224 qui voit la capitulation d’Amaury de Montfort, assiégé dans Carcassonne par les comtes de Toulouse et de Foix, et son retour en France où il cède à Louis VIII tous les droits que son père et lui avaient acquis dans le Midi depuis 1209. Un événement à double détente puisqu’il occasionna d’une part ce qu’on a appelé la « reconquête occitane », aussi brève que fédératrice, mais aussi, d’autre part, l’intervention militaire décisive du roi de France, et à sa suite le traité de Meaux (1229), contraignant le comte de Toulouse à s’engager vraiment contre l’hérésie et surtout à préparer le rattachement définitif du Languedoc au domaine capétien (ce qui advint en 1271).
C’est donc un sujet à forte charge mémorielle régionaliste que le public sera invité à découvrir ou redécouvrir en accédant aux résultats des recherches historiques et archéologiques les plus récentes.
Au Musée Saint-Raymond seront présentés les aspects politiques et militaires, concernant notamment Toulouse, capitale du comté raimondin qui a été l’un des principaux théâtres des événements : d’abord les raisons multiples qui ont favorisé l’escalade vers la croisade, puis les multiples rebondissements, du sac de Béziers aux derniers combats de Raimond VII.
Au Couvent des Jacobins, c’est le phénomène de « l’hérésie cathare » qui sera décrypté au prisme des débats qui animent actuellement la communauté des historiens. Quels sont les mécanismes à l’origine de l’accusation de dissidence dans le Midi ? Le « catharisme » ne serait-il pas l’objet d’une invention ? Sans oublier les grands mythes qui entourent les « châteaux cathares » ou les nombreux clichés qui persistent autour de l’histoire de l’Inquisition au Moyen Âge.
À la Bibliothèque d’Étude et du Patrimoine enfin, avec la présentation Troubadours, langue d’oc et jeux floraux, la dimension culturelle sera envisagée : la croisade a en effet dispersé les troubadours occitans très actifs dans les états du comte de Toulouse, mettant un coup d’arrêt à l’essor de ce qu’on a pu qualifier de « civilisation du paratge » (tolérance, égalité, amour).
Des documents nombreux et variés ont été convoqués et répartis sur les trois lieux : actes d’archives, manuscrits enluminés, bulles et sceaux, pièces d’orfèvrerie, sculptures et objets archéologiques, soutenus par des matériels de reconstitution historique et des parcours audiovisuels.
Issus des collections toulousaines ou prêtés par des institutions françaises et étrangères, certains de ces documents ont valeur de symboles et seront parfois présentés pour la première fois à Toulouse : ainsi le traité de Meaux-Paris (1229) et la Canso de la crosada (prêtés au musée Saint-Raymond respectivement par les Archives nationales et la Bibliothèque nationale de France) ; le plus ancien registre de l’Inquisition méridionale (manuscrit de la Bibliothèque d’Étude et du Patrimoine présenté au Couvent des Jacobins) ; le Boèce d’Orléans considéré comme un des plus anciens poèmes connus en langue d’oc, datant de l’an 1000, et le chansonnier d’Urfé/La Vallière (siglé « R » par les spécialistes), un des très rares recueils conservés de poésies de troubadours, copié dans la région toulousaine (prêtés à la Bibliothèque d’Étude et du Patrimoine respectivement par la bibliothèque municipale d’Orléans et la Bibliothèque nationale de France) ; ainsi que les célèbres Leys d’amors de 1356 (dépôt de l’Académie des jeux floraux à la Bibliothèque d’Étude et du Patrimoine), à la fois grammaire et traité de composition poétique en occitan.